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Lutte contre le travail forcé ou le travail des enfants

Récemment, Novo s’est entretenu avec Me Eve St-Hilaire de Novo Avocats pour en apprendre davantage sur une nouvelle loi concernant le travail forcé ou le travail des enfants, et les obligations imposées aux entreprises.

D’abord, est-ce exact de dire que le 31 mai dernier était une date importante au Canada dans sa lutte contre le travail forcé ou le travail des enfants?

Oui, c’est exact. La Loi sur la lutte contre le travail forcé et le travail des enfants dans les chaines d’approvisionnement (ci-après la « Loi ») est une loi fédérale entrée en vigueur le 1er janvier dernier. Cette loi oblige les institutions fédérales et les entreprises qui se qualifient à produire, au plus tard le 31 mai de chaque année, un rapport portant sur les mesures prises pour prévenir et atténuer le recours au travail forcé et au travail des enfants ainsi que sur les mesures prises pour éviter de faire affaire avec une entreprise qui, dans sa chaine d’approvisionnement, a recours à un tel travail. Le 31 mai 2024 souligne donc la première date limite de production de ce rapport.

À qui s’adresse cette Loi ?

Cette loi s’applique aux institutions fédérales et aux entités (ex. une personne morale) qui produisent, vendent ou distribuent des marchandises au Canada, qui importent des marchandises produites à l’extérieur du Canada ou qui contrôlent une entité qui se livre à ses activités, dans la mesure où elles entrent dans l’une de ces catégories :

  • Leurs actions ou titres de participation sont inscrites à une bourse de valeurs canadienne;

Ou

  • Elles ont un établissement au Canada, exercent des activités ou possèdent des actifs et remplissent au moins deux des conditions suivantes, pour au moins un de ses deux derniers exercices financiers consolidés :
  1. Elles possèdent des actifs d’une valeur d’au moins 20 000 000 $;
  2. Elles génèrent des revenus d’au moins 40 000 000 $;
  3. Elles emploient en moyenne 250 employés.

Que doivent faire les entreprises si elles se qualifient à titre d’entités au sens de cette loi?

Elles doivent produire, au plus tard le 31 mai de chaque année, un rapport sur les mesures prises dans le cadre de son dernier exercice financier pour prévenir et atténuer le risque relatif au recours au travail forcé ou au travail des enfants dans toutes les étapes de la production de marchandises ou de leur importation.

Que voulez-vous dire par « travail forcé »?

Le travail forcé est défini comme étant un travail ou un service fourni ou offert par une personne dans des circonstances où il est raisonnable de croire que sa sécurité, ou celle d’une personne qu’elle connait, soit compromise si elle ne fournit pas ou n’offre pas son travail ou ses services.

Cette définition comprend aussi celle du travail forcé au sens de la convention adopté par les Nations Unies en 1930. Cette convention spécifie qu’un travail forcé désigne tout travail ou service exigé d’une personne sous la menace d’une peine quelconque et pour lequel cette personne ne s’est pas offerte de plein gré. On peut évidemment penser à l’esclavage. Certaines exclusions sont prévues, notamment le service militaire obligatoire et les travaux communautaires résultant d’une condamnation prononcée par une décision judiciaire.

Quant au « travail des enfants », qu’est-ce que cela signifie?

Le « travail des enfants » est défini comme tout travail ou service fourni ou offert par des personnes âgées de moins de dix-huit ans dans des circonstances qui :

  • Sont contraires au droit applicable au Canada;
  • Sont physiquement, socialement ou mentalement dangereuses;
  • Interfèrent avec leur scolarité en les privant de la possibilité d’aller à l’école, en les obligeant à quitter l’école prématurément ou en les obligeant à combiner la fréquentation scolaire avec un travail excessivement long et lourd;
  • Constituent les pires formes de travail des enfants au sens de la Convention de 1999 de l’Organisation internationale du travail. On parle ici d’esclavage, de la vente ou de la traite des enfants, du recrutement forcé des enfants en vue de leur utilisation dans des conflits armés, etc.

Vous avez souligné l’obligation pour les entreprises visées de produire un rapport. Existe-t-il un contenu obligatoire?

Oui. Certaines informations sont obligatoires. Le rapport doit notamment contenir des informations concernant :

  • La structure, les activités commerciales et les chaines d’approvisionnement de l’entité;
  • Ses politiques et processus de diligence raisonnable relatifs au travail forcé et au travail des enfants;
  • Les parties des chaines commerciales ou d’approvisionnement qui comportent un risque de recours au travail forcé ou au travail des enfants ainsi que les mesures prises pour évaluer ce risque et le gérer;
  • L’ensemble des mesures prises pour remédier à tout recours au travail forcé et au travail des enfants ainsi que celles prises pour remédier aux pertes de revenus des familles les plus vulnérables engendrées par les mesures mises en place pour éliminer le recours au travail forcé et au travail des enfants;
  • La formation donnée aux employés sur le travail forcé et le travail des enfants;
  • La manière dont elle évalue l’efficacité de ses efforts pour éviter le recours au travail forcé et au travail des enfants.

Le rapport doit ensuite être approuvé par le corps dirigeant de l’entité.

Une fois le rapport complété, que doit-on faire avec celui-ci?

Lorsque le rapport a été dûment approuvé, l’entité doit remplir le questionnaire qui se trouve sur le site Web du ministère1. Les réponses fournies dans le cadre de ce questionnaire doivent être conformes au rapport. Actuellement, la période de dépôt des rapports est terminée. Le site Web ne précise pas la prochaine période de dépôt des rapports. Toutefois, la prochaine date limite sera le 31 mai 2025.

Les entités constituées sous la Loi canadienne sur les sociétés par actions doivent aussi fournir le rapport à leurs actionnaires lors de la production des états financiers.

Finalement, les entités doivent publier, sur leur site Web, leur rapport, dans un endroit bien en vue.

Qu’arrive-t-il si une entité ne produit pas le rapport demandé?

L’entité s’expose à une poursuite pénale puisque le défaut de produire un rapport ou de le publier sur leur site Web constitue une infraction au sens de la Loi. L’entité peut encourir une amende pouvant aller jusqu’à 250 000 $. Une telle amende peut également être encourue par quiconque qui, sciemment, fait une déclaration fausse ou trompeuse ou fournit un renseignement faux ou trompeur. Les administrateurs peuvent également faire l’objet d’une poursuite pénale s’ils ont ordonné, autorisé, s’ils ont consenti ou participé à l’infraction commise par l’entité.

Les exigences semblent importantes pour les entreprises qui se qualifient. Savons-nous ce qui a mené le gouvernement du Canada à adopter cette Loi ?

Cette Loi a été édictée dans un contexte où le Canada a pris des engagements internationaux en matière de lutte contre le travail forcé et le travail des enfants. L’objectif est évidemment fort louable, mais il est vrai que les exigences sont importantes.

Y a-t-il autre chose que nous devrions savoir concernant cette Loi ?

J’ajouterais simplement qu’il existe une possibilité de produire un rapport conjoint relatif à plusieurs entités. Ceci peut être une avenue intéressante dans le cas d’entreprises qui sont liées, et dont les mesures prises dans la lutte contre le travail forcé et au travail des enfants sont similaires.

Merci, Me St-Hilaire, pour ces informations fort utiles.

1 Soumettre un rapport (securitepublique.gc.ca).

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